Le travail éducatif contraint en milieu ouvert dans la prise en charge pénale des mineurs Recherche sociologique collaborative Franco-Québécoise
Origine et contexte historique
Ce projet de recherche et de formation-recherche entend renforcer les partenariats établis entre l’Université Lyon 2 et l’Université de Montréal. Il est porté par le Centre Max Weber (UMR 5283 : Univ. Lyon 2, CNRS, ENS de Lyon, Univ. Saint-Etienne), en articulation avec le Centre de recherche de Montréal sur les inégalités sociales et les discriminations (CREMIS), et d’autres chercheurs français spécialistes en sociologie du champ pénal. Il porte sur un objet novateur, au coeur des préoccupations actuelles des politiques publiques et du champ scientifique.
Les enjeux scientifiques du projet s’inscrivent dans la continuité de récents travaux sociologiques menés sur les transformations de la justice pénale des mineurs, depuis une vingtaine d’années, dans une majeure partie des pays occidentaux, à travers l’apparition de plusieurs dispositifs fondés sur une nouvelle catégorie d’action publique – l’action éducative contrainte. Pour le cas français, nous faisons référence aux dispositifs de placement, et d’incarcération, réservés aux jeunes considérés comme les plus «difficiles», en particulier les très controversés centres éducatifs fermés, créés en 2002, puis l’inauguration, dès 2006, de nouvelles prisons pour mineurs supposément éducatives.
Parmi les travaux pionniers en la matière, 4 principaux rapports conduits par des chercheurs de notre équipe (Sallée, Milburn, Lenzi), ont été remis, depuis 2011, à la Mission de recherche Droit et Justice (CNRS/Ministère de la justice). Partant de l’émergence d’un nouveau modèle fondé sur une relégitimation de la contrainte – et notamment de la contrainte pénale – dans la mise en œuvre des processus éducatifs (Sallée, 2014), les éclairages ont porté sur la singularité des agencements professionnels et organisationnels qui ont pris forme au sein des centres éducatifs fermés et des prisons pour mineurs. Les orientations poursuivies dans ce cadre ont permis de mettre au jour les reconfigurations professionnelles et organisationnelles à l’oeuvre, et de déceler, dans les écarts entre travail prescrit et travail réel, une recomposition de l’ordre éducatif (Lenzi, 2015), à travers le développement de pratiques et de savoirs informels et expérientiels, parfois même transgressifs.
Nos travaux ont mis en lumière que la mise à l’épreuve des ressorts d’action éducatifs, à travers ce que certains auteurs auront nommé l’avènement d’un «virage punitif» mondialisé, n’induit pas la fin du «modèle» protectionnel fondé sur une philosophie réhabilitatrice, mais permet sa reconfiguration (Sallée, 2014), à travers un agir professionnel réflexif, tactique et prudentiel (Lenzi, 2015) qui vise à articuler, plus qu’à les opposer, contrainte et éducation-réhabilitation. A travers l’articulation d’une logique de contrôle à une logique de réhabilitation, les intervenants mobilisent dans les faits, et au moyen de ruses, bricolages inventifs et jeux d’alliance, une diversité de réponses alternatives peu standardisées et pourtant essentielles pour favoriser une réflexivité pédagogique. Les options retenues, le plus souvent informelles, labiles et invisibles, rendent possible, malgré tout, et dans une certaine mesure, une pédagogie de la responsabilisation (Milburn, 2009).
Ce «nouveau modèle» de la responsabilisation et de l’action éducative contrainte, au cœur des réformes de la justice pénale des mineurs, loin de se cantonner à la prison et aux dispositifs de placement, tend également à s’étendre aux pratiques éducatives dites de «milieu ouvert» (Sallée, 2016).Il est donc primordial, à présent, dans un contexte général de désinstitutionalisation, de déplacer la focale vers le milieu ouvert, afin d’étudier, quelle reconfiguration du traitement des jeunes délinquants est à l’œuvre ‘hors les murs’ des institutions, et quelle construction des identités professionnelles et des collectifs de travail est possible.
Objectifs
Le projet s’étend sur une période de 2 ans et prévoit l’exploration de différents terrains en France et au Québec, sous la forme d’observations et d’entretiens auprès des professionnels de la prise en charge pénale des mineurs en milieu ouvert. Au Québec, sont visés 3 «bureaux» de «suivis dans la communauté» du Centre jeunesse de Montréal Institut universitaire (CJM-IU) et 2 bureaux du Centre jeunesse de Lanaudière.
En plus des Universités Lyon 2 et de Montréal, plusieurs institutions de recherche sont engagées : le Centre Max Weber comme porteur de projet, le CREMIS de Montréal, ESO Espaces et Sociétés (UMR 6590), l’Institut Régional et Européen des métiers de l’Intervention Sociale Rhône-Alpes. Sont aussi associés différents acteurs institutionnels de la région Auvergne-Rhône-Alpes : DIR Protection Judiciaire de la Jeunesse Auvergne-Rhône-Alpes et Espace de Recherche et de Prospective (ERP).
L’équipe francoquébécoise est composée de 6 chercheurs principaux, de 4 étudiants-doctorants et d’une chargée de projet. Les explorations de terrain se feront le plus souvent de façon «nationale» (les chercheurs investissant des dispositifs de leur propre pays) mais nous prévoyons aussi des missions «internationales» permettant de croiser les regards.
4 missions internationales sont prévues : 2 missions (2016) de 8 jours pour 4 chercheurs français à Montréal et 2 chercheurs québécois en France ; 2 autres missions (2017) de 4 jours pour les mêmes chercheurs. Ces missions donneront lieu à la participation des chercheurs aux travaux de terrain, à leur participation à des séminaires de recherche et à des journées de formation : 5 objectifs peuvent être distingués :
- Un premier objectif concerne la production de connaissances, en France et au Québec, sur le travail éducatif contraint en milieu ouvert dans la prise en charge pénale des mineurs.
- Un deuxième objectif est comparatif. L’exemple québécois, comme point d’ancrage comparatif, est particulièrement instructif, à la fois d’un point de vue scientifique et d’un point de vue politique en France : en quoi certains dispositifs québécois (comme la nouvelle loi sur le système de justice pénale pour les adolescents et les peines de «placement et surveillance») pourraient-ils être «transférés» en France ?
- Un troisième objectif touche la formation des intervenants éducatifs, appuyée sur un partenariat renforcé entre l’Université Lyon 2 et l’Université de Montréal. Parce que le «suivi intensif différencié» des mineurs contrevenants dans la communauté au Québec, comme les mesures de suivi probatoires en milieu ouvert qui émergent progressivement en France, constituent, en soi, un véritable défi pour les intervenants éducatifs, consistant à maintenir sous surveillance intensive un nombre croissant de jeunes dans leur «milieu naturel», auprès de leurs familles et de leurs groupes de pairs, il est crucial d’éclairer les ressorts de la professionnalité, et sur cette base, d’ouvrir un espace de dialogue entre chercheurs et apprenants (étudiants en voie directe et en formation continue).
- Un autre objectif est de renforcer des actions de formation auprès de publics d’étudiants en sociologie, à l’Université Lyon 2 et l’Université de Montréal.
- Un dernier objectif est la constitution d’un réseau de sociologues français et québécois visant à renforcer les coopérations internationales dans les domaines de la justice pénale des mineurs, et de la sociologie des professions et des organisations. Un réseau dont les têtes de pont seront en France, le Centre Max Weber, l’UMR Espaces et Sociétés, l’IREIS et à Montréal, le laboratoire CREMIS.
Coopération et Mobilité Internationale Rhône-Alpes (CMIRA) – Programme soutenu par le Conseil Régional Rhône-Alpes dans le cadre d’un accord entre l’université Lyon 2 et l’université de Montréal
Responsables scientifiques
Les acteurs français du projet
- Bruno Milly, Chef de projet, Centre Max Weber UMR5283
- Catherine Lenzi, Coordinatrice IREIS et PRINTEMPS UMR8085
- Philip Milburn, Coordinateur, Espace Sociétés UMR6590
- Cédric Verbeck, Coordinateur ENPJJ, Centre Max Weber
- Alexia Rival, Chargée de projet, Centre Max Weber
- Virginie Olivier, Assistante pôle recherche IREIS
Les acteurs étrangers du projet
- Nicolas Sallée, Coordinateur, CREMIS Univ. De Montréal
- Martin Goyette, Coordinateur, ENAP
- William Wannyn, Etudiant, Université de Montréal
- Anais Tschanz, Doctorante, Université de Montréal